Sarkozisme

Sur l'article de blog de Thierry Pelletier, relatif à la récente procédure d'expulsion d'une jeune béninoise dont le mari – Français – est mort d'un cancer avant que la période de vie commune nécessaire à l'obtention d'un titre de séjour de dix ans soit atteinte, j'ai pu lire ce texte, de Renaud Tarlet, que je me permet de reproduire en partie, pour en discuter plus bas. Vous trouverez l'original sur le blog Libération de Thierry Pelletier.

 

En lisant "Le système totalitaire", oeuvre majeure de la philosophe Hannah Arendt, on découvre que l'une des principales spécificités des régimes totalitaires (nazi comme stalinien) est la désignation de "criminels ontologiques".

Le "criminel ontologique" n'est pas accusé d'un quelconque acte répréhensible, comme l'est le criminel dans le droit moderne. C'est son existence en soi, sa "nature", qui pose problème.

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Or, dans le cas que vous exposez (mais on pourrait en recenser des dizaines), on ne peut pas reprocher quelque chose de précis à la personne qui va être expulsée. Il n'y a pas eu a priori définition de règles déterminant qui avait le droit ou non de rester sur le territoire français.

La logique est tout autre : on doit expulser un nombre donné d'étrangers, et les critères sont construits a posteriori pour atteindre l'objectif. Autrement dit, on nie totalement la spécificité, la personnalité ou les actes de ces personnes. C'est donc autre chose, chez eux, qui pose problème.

Il est plus que probable qu'une personne dans la même situation que celle que vous décrivez ici, mais qui se présenterait une fois les "quotas" d'expulsions atteints obtiendrait un titre de séjour.

Si on trouve de tels exemples, alors on démontre que cette politique nie la spécificité des êtres humains qu'elle persécute. On démontre que face à la même situation, on n'applique pas la même règle, autrement dit qu'on a quitté le domaine de la loi. Ce n'est plus un acte qu'on reproche alors, CQFD, puisque deux personnes ayant fait la même chose sont traitées différemment. On démontre que la politique actuelle de persécution des "sans papiers" désigne en fait des "criminels ontologiques", dans la plus pure et plus exacte logique totalitaire. C'est leur "nature" d'étrangers au corps social qu'on reproche à demi-mots aux personnes pourchassées et persécutées par cette politique.

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Si on continue l'analyse des discours sarkoziens, on se rend compte qu'ils font système. En ce qui concerne la délinquance, le criminel particulièrement odieux est le "multi-récidiviste". Voilà qui démontre par l'absurde l'irrationalité logique de ce discours totalitaire: voulant défendre une politique répressive, il s'appuie sur le fait que cette répression provoque la récidive, autrement dit échoue. Mais cette contradiction n'arrête pas la pensée persécutrice : si la politique répressive échoue à empêcher la récidive, c'est parce qu'elle n'est pas encore assez répressive. Ce qui l'empêche de réussir, c'est la "nature" du multirécidiviste : on a beau le punir, il recommence sans cesse. Le "multirécidiviste" est un criminel ontologique : ses actes ne sont que la manifestation d'une nature qui le pousse à les commettre.

Nous avons ici la "philosophie" de la loi Dati qui permettrait, je le rappelle, d'enfermer, sur rapport de "spécialistes", des personnages "potentiellement dangereux", cet enfermement n'étant pas relié à un acte commis (car ces personnes auront purgé leur peine). Autrement dit, la loi Dati correspond exactement à la "philosophie" totalitaire du criminel ontologique.

Lors d'un entretien avec Michel Onfray paru peu avant les élections présidentielles, Nicolas Sarkozy explique, dans le même ordre d'idées, que le suicide ou la pédophilie sont, celui lui, les conséquences des gènes. Autrement dit, que certains comportements déviants découlent de la "nature" biologique des êtres qui les commettent. Voilà encore un exemple de conception "ontologique" de la déviance.

En appliquant les catégories totalitaires de pensée aux êtres humains, le sarkozisme renie leur spécificité, leur individualité, leur personnalité, leur singularité, en un mot leur humanité. N'est-ce pas le préalable à tout crime contre l'humanité, crime qui dénie l'humanité même de la victime ?